Les citoyens consultés

A partir de 2008, et plus particulièrement à la suite des mouvements citoyens, les islandais ont été consultés à de nombreuses reprises, non seulement à travers des élections traditionnelles, mais aussi au moyen des référendums qui furent organisés spécialement sur des sujets impliquant la gouvernance de l’Etat et la manière de sortir de la crise.

A la suite de la démission du gouvernement de Geir Haarde, en avril 2009, ont lieu des élections anticipées, qui porte pour la première fois sur l’ile, une femme  au poste de Premier Ministre : Jóhanna Sigurdardóttir. Cette féminisation de la vie politique, s’observe aussi en termes de parité, 43% des députés élus au cours de ce scrutin, sont des femmes. Ce chiffre est très élevé en comparaison avec le pourcentage de femmes députés observé dans les autres pays occidentaux (il n’est actuellement que de 26% en France soit un écart de 17 points de pourcentages en faveur de l’Islande).

Sigurdardóttir est une ancienne syndicaliste et hôtesse de l’air, qui a bâti son programme sur la protection des plus pauvres et sur la sauvegarde des entreprises pour l’emploi. Elle dirigeait alors une coalition regroupant son parti Alliance (socio-démocrate) qui dispose de vingt sièges à l’issue du scrutin et du Mouvement des Vert et de la Gauche (écologiste et socialiste) qui en a obtenu 14 (la majorité étant acquise avec 34 députés sur les 63 de l’Althing). Un des autres objectifs de cette coalition est que l’Islande intègre l’Union Européenne, et de fait, qu’elle change de monnaie au profit de l’Euro, sachant qu’une partie de la population pense que cela permettrait d’obtenir plus de solidarité en cas d’une nouvelle crise.

icesaveLogo d’Icesave

Toutefois, lorsque Jóhanna Sigurdardóttir  arrive au pouvoir, elle hérite de la décision du gouvernement sortant de ne pas rembourser les étrangers, principalement Britanniques et Néerlandais, qui avaient déposés des fonds dans les banques islandaises, via la filiale en ligne Icesave de Landsbanki, pour compenser la crise financière du pays. Ceux-ci étaient très nombreux du fait des taux d’intérêt très élevés à ce moment-là  dans les autres pays étrangers. Ces placements étaient très risqués, mais les épargnants avaient uniquement considéré le fort rendement pouvant aller jusqu’à 6% de ces placements.

Ce sont près de  400.000 particuliers, mais aussi des entreprises et des mairies qui sont retrouvés lésés par cette décision du gouvernement islandais de ne pas honorer sa dette. On estime à 3,8 milliards d’euros, la perte de ces épargnants, somme à l’évidence que ne pouvait honorer la petite Islande.

Rapidement, le ton monte entre le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Islande. Le premier fait pression sur son voisin en gelant les actifs des établissements bancaires islandais présents sur le territoire britannique, en utilisant une loi de 2001 permettant de saisir les avoirs des organisations terroristes. L’Islande se retrouve par conséquent fichée sur une liste la présentant comme organisation terroriste, au même titre qu’Al-Qaïda.

Entre temps, les épargnants britanniques et néerlandais sont indemnisés par leurs gouvernements respectifs, avant que ces derniers n’envoient la « facture » à l’Islande. Puis pour obliger l’Islande à rembourser, ils ralentissent les négociations qui ont lieu au même moment, sur un accord de prêts entre le FMI et l’Islande. L’Union Européenne prend alors la défense des deux pays membres, ce qui fera perdre l’envie à de nombreux islandais d’y adhérer.

En aout 2009, un accord est proposé par la Grande Bretagne et les pays Bas, qui stipulent que l’Islande rembourse les pertes des épargnants étrangers, assorties de 5,5 % d’intérêt, sur une durée de 8 ans. Le parlement islandais adopte cet accord, tout en l’amendant sans prévenir le camp adverse, pour alléger le coût  du remboursement en décidant d’indexer la dette sur le PIB du pays : en cas de diminution du PIB, la dette de l’Islande en serait réduite d’autant. Furieux que l’accord ait été modifié, le Royaume-Uni et les Pays-Bas proposent une autre solution plus contraignante. Le nouvel accord est accepté en octobre par le Parlement islandais, mais cette fois, les citoyens s’y opposent face à l’énormité de la somme, égale à 13 000 euros par habitant. Très vite, une pétition circule en Islande recueillant près de 56 000 signatures (26 % des électeurs islandais, ce qui rapporté à la France correspondrait en France à 11,6 millions de votants sur les 44,5 millions du corps électoral), chaque jour, des manifestations ont lieu devant l’Althing.

A la surprise générale, le Président qui dispose pourtant de peu de pouvoir, annule le vote du Parlement qui avait accepté cet accord et impose un referendum pour déterminer s’il faut ou non rembourser cette somme. Le 10 mars 2010, le « non » au remboursement atteint 93 % des suffrages. Pour 100 individus ayant voté, 93 refusent de rembourser cette somme. A contrario, 1,8 % de la population l’accepte. Pour 100 individus ayant voté, seulement 1,8 acceptent de rembourser les Pays-Bas et le Royaume-Uni. 6,7 % de votants ont voté blanc. La participation était plutôt haute avec  62,7 % de participation, contre 37,3 % d’abstention.

Face au refus de la population, en décembre 2010, un troisième accord est trouvé ; celui-ci porte sur la même dette à rembourser, mais cette fois-ci avec un taux d’intérêt de 3 % pour les Pays-Bas et de 3,3 % pour le Royaume-Uni, remboursable sur 30 ans. Cette fois-ci le poids pour les habitants est moins lourd puisqu’il serait selon le calcul d’anciens eurodéputés de 1 000 euros par habitant environ, soit une division par 10 de la somme à rembourser. Cette importante diminution n’est pas seulement due à la baisse des taux d’intérêt, mais aussi à une augmentation de la valeur financière des banques et notamment Islandbanki, qui ont su profiter du climat financier mondial, redevenu favorable. Mais suite à une nouvelle pétition regroupant plus de 40 000 électeurs, le Président Grímsson invalide à nouveau le vote de l’Assemblée pour permettre un nouveau référendum. Ce référendum a lieu en avril 2011. Bien que le « oui » au remboursement fût attendu, c’est le « non » qui l’emporte avec une large majorité, quoique moins importante que lors du dernier référendum. C’est  près de 57,7 % de la population qui rejette cette proposition, pour 100 votants, 57,7 votent contre cet accord. Le taux de participation était alors de 75 %, par conséquent pour 100 inscrits sur les listes électorales, 75 ont voté et 25 n’ont pas participé au vote.

A la même époque, l’Association Européenne de Libre-Echange (AELE), organisation chargée de surveiller les échanges entre les pays de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen, assigne l’Islande devant la Cour de la même organisation, afin d’en finir avec le litige entre les trois pays concernés. En effet, depuis le début de cette crise sur la base des accords de libre-échange, auxquels adhèrent l’Islande, l’AELE s’interrogeait sur la possibilité juridique de l’Islande de passer outre l’indemnisation des ressortissants des pays de l’EEE, jusqu’à un plafond de 20 880 euros.

Or dans le cadre de cette procédure, en cas de défaite sur le plan juridique, l’Islande risquait au-delà du remboursement de la dette à proprement dite, d’être condamnée à payer d’énormes réparations supplémentaires.

Fin janvier 2013, la Cour finira par donner gain de cause à l’Islande. C’est alors que la banque Landsbanki, qui avait assuré depuis le début du contentieux, être en mesure de rembourser les dettes de sa filiale Icesave, vend ses actifs qui ont pris de la valeur depuis la crise et paie la totalité de sa créance comme elle s’y était engagée.

Il semble que l’Union Européenne, ainsi que la Grande-Bretagne et les Pays-Bas n’aient pas tenu compte de l’engagement de la banque Landsbanki, préférant laisser l’AELE mener ses investigations dans le cadre de la procédure pour faire pression  sur l’Islande.

A la lumière de cette information et sachant le poids démesuré imposé par ses créanciers à l’Islande, il semble tout à fait normal que les citoyens aient réagi et qu’ils se soient fait entendre par le biais des pétitions. La fracture entre les parlementaires, représentants du peuple prêt à ratifier un accord avec la Grande Bretagne et les Pays Bas, et les citoyens islandais était évidente. C’est pourquoi, on peut saluer l’initiative du Président Grímsson qui a su écouter ses citoyens et leur donner la parole à travers un référendum. Cette pratique citoyenne a apporté un vent nouveau de démocratie sur le système politique islandais et donner ainsi une chance à une politique alternative. Par contre, l’action du Président en faveur du référendum a été qualifiée d’électoraliste par certains, car ils ont considéré que jusque-là, il avait toujours défendu les intérêts des banques. De plus, ces nombreuses consultations électorales ont malgré tout divisé la société islandaise et surtout, fortement décrédibilisé le Gouvernement social-démocrate qui avait soutenu les accords.

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